On va tous mourir ! Brrr !

Vendredi dernier j’intervenais en animation chant/guitare à l’EPHAD Mutualiste du Fontanil-Cornillon. C’était le jour d’Halloween, alors j’ai cherché à définir un set de chansons en rapport avec l’occasion. Mais des chansons de monstres ou de morts vivants je n’en avais pas dans mon répertoire et j’avoue que la motivation à en trouver ne m’est jamais vraiment venue. Par contre, le jour suivant, c’était la Toussaint. Une fête beaucoup plus ancrée dans la culture de mes auditeurs du jour, d’un certain âge… Alors j’ai décidé de construire mon set de chansons autour de la mort ! Je savais que c’était risqué. Pas par la façon dont ce serait reçu par les résidents de l’EPHAD, mais par le personnel…

Nous sommes dans une culture qui n’aime pas parler de la mort, et beaucoup de gens pensent qu’en parler avec nos anciens, c’est déjà les enterrer. Je ne suis pas de cet avis, et je vous expliquerai pourquoi par la suite. J’ai pris le risque. A l’annonce que nous allions parler de la mort, j’ai bien eu quelques « Oh la la ça va être triste ! ». Mais dès que j’ai commencé à entonner « mon vieux », puis « la mamma », puis « le petit âne gris » une profonde attention et une grande sérénité s’est installée dans l’assemblée. Entre les chansons, plusieurs nous ont partagé des souvenirs de leurs vies, de leurs parents… Et le personnel qui regardait ça de loin avec un peu d’angoisse, a fini par se relâcher en sentant l’apaisement naissant. Je suis reparti ce jour là profondément touché par la qualité d’attention que j’ai pu recevoir.

J’en étais persuadé, parler de la mort ça fait du bien et ce n’est pas la première fois que je le valide. J’en avais pris conscience sur la fin de vie de mon grand-père, que je questionnais sur le sujet lorsqu’il l’abordait. Et puis j’ai lu le livre de Marie de Hennezel « une vie pour se mettre au monde », et j’ai commencé a comprendre pourquoi ça faisait du bien, et surtout, à quel point ça faisait du mal de ne pas en parler. L’autrice, également psychologue, y explique notamment que de nombreux professionnels de santé s’entendent sur l’hypothèse que la maladie d’Alzeimer, fléau actuel chez les personnes âgées, pourrait trouver sa source dans la peur de mourir et surtout, la difficulté d’en parler. On s’enfermerait alors dans cette peur, tentant même de revenir dans nos jeunes années, pour s’en tenir le plus éloigné possible !

La Toussaint est ce jour où l’on décore les tombes de fleurs, certes, mais c’est avant tout un moment de recueillement et de souvenir, pour penser à ceux qui sont morts, nos proches souvent. Alors étant jeune je me suis souvent dit : « A quoi ça sert puisqu’ils sont morts ? ». Désormais je crois personnellement qu’ils existent encore à travers moi car ils ont contribué à construire ce que je suis : un patchwork de ce qu’ils ont été. Penser à eux, c’est panser mes blessures intérieures. Je souhaite à mon tour transmettre ce rituel de mémoire à mes enfants, peut-être pour me rassurer sur le fait qu’ils continueront à l’entretenir, et que je continuerai moi-même à vivre à travers eux, gagnant au passage un petit bout d’éternité ,-) ! Fêter la Toussaint peut nous permettre, l’espace d’un repas de famille, de se remémorer des souvenirs agréables et d’autres plus douloureux, de déposer nos angoisses et partager nos volontés, auprès de proches qui s’ouvrent à l’entendre.

La fête d’Halloween, était historiquement un rituel Celtique pour se connecter avec les âmes de ceux qui étaient partis avant, et chercher leurs conseils et leur sagesse. C’était une période pour réfléchir sur la mortalité, l’au-delà, et le cycle éternel de vie, de mort et de renaissance. Elle nous est arrivée en France emprunte d’un caractère commercial et divertissant, certes attractif pour les plus jeunes, mais qui me semble nous en faire oublier les fondements. Le divertissement nous détourne de ce que l’on a peur de regarder. Je pense que la mort fait partie de notre vie, et que ne pas la regarder en face, c’est ne pas vivre pleinement. J’apprends doucement à aimer la mort, en commençant par en parler ici !

Et je termine en remerciant Josette, qui m’a demandé de l’accompagner au cimetière ce mercredi pour prendre soin du souvenir de ses ancêtres et amis morts avant elle. Elle me disait avec un trait d’humour marqué de tristesse : « Je connais désormais plus de gens ici que dans Tullins ! ». Nos échanges et cette promenade dans les allées fleuries du cimetière m’ont amené à cette envie de partage. Il n’y a pas d’âge pour inspirer le monde !